Si le microbiote humain est un domaine de recherche sensible qui a attiré l’attention de la presse grand public, il a également donné lieu à des idées reçues qui pourraient fausser la perception et les attentes des lecteurs sur ses applications.

L’essor formidable de la recherche sur le microbiome s’est accompagnée d’un « battage médiatique et d’idées reçues bien enracinées qui se sont converties en “faits” à force d’être répétées », mettent en garde les microbiologistes Alan Walker et Lesley Hoyles dans un nouvel article de perspective publié dans la revue Nature Microbiology. Ils ont souligné que : « Étant donné l’importance potentielle des microbiomes humains pour la santé humaine, il est essentiel que les affirmations soient étayées de preuves. »

 

En attendant, voici quelques-uns des principaux mythes sur le microbiome :

Le domaine du microbiome n’en est qu’à ses prémices

Si la recherche sur le microbiome s’est accélérée au cours des 15 dernières années, « les microorganismes associés à l’homme ont fait l’objet de nombreuses études depuis au moins la fin du XIXe siècle. Il en va de même pour des concepts tels que l’axe intestin-cerveau sur lesquels nous nous penchons depuis des siècles ».

Il n’est pas non plus vrai, comme on peut le lire dans de nombreuses sources, que Joshua Lederberg a inventé le terme « microbiome » en 2011, car celui-ci était déjà utilisé dans ce domaine depuis au moins une dizaine d’années.

 

Nos bactéries pèsent de 1 à 2 kg ❌

L’origine de cette information est mal documentée. Les auteurs affirment que : « La majorité du microbiote humain réside dans le côlon, et ces microorganismes représentent en général moins de la moitié du poids des selles. »

Il est plus probable que le microbiote humain pèse moins de 500 grammes au total, et le microbiote intestinal environ 200 grammes, soit l’équivalent d’une mangue.

Il est également important de reconnaître que la plupart des études sur le microbiote intestinal humain publiées à ce jour s’appuient sur des échantillons fécaux. Cependant, les selles ne fournissent pas une « photo » précise de ce qui se passe à l’intérieur de notre intestin.

 

Les bactéries présentes dans le corps humain sont plus nombreuses que les cellules humaines ❌

Le mythe selon lequel notre corps présente un rapport bactéries-cellules (et autres microbes) de 10:1 persiste depuis l’estimation réalisée en 1972 par le microbiologiste Thomas Luckey.

« Des analyses approfondies indiquent que le chiffre réel, quoique toujours impressionnant, est certainement plus proche d’un ratio de 1:1 », affirment les auteurs. Ce ratio peut également varier d’une personne à l’autre du fait qu’il est influencé par le sexe, l’âge et l’obésité. Enfin, les estimations actuelles se fondant principalement sur des adultes vivant dans des pays urbanisés à hauts revenus, nous ignorons si elles s’appliquent également aux personnes vivant en milieu rural et d’âges différents.

Des données antérieures ont également permis d’estimer que le nombre de bactéries présentes dans le côlon était d’environ 1014. On dénombre en fait de 1010 à 1011 cellules bactériennes par gramme de selles.

 

La plupart des maladies se caractérisent par une altération du microbiote ou « dysbiose » ❌

La littérature scientifique et les kits commerciaux de test du microbiome indiquent souvent que la plupart des maladies sont causées par une altération du microbiote. Ainsi, un déséquilibre dans le rapport entre les Firmicutes et Bacteroidetes, qui comprennent les deux plus grands embranchements composant le microbiome intestinal humain, a été présenté à plusieurs reprises comme un marqueur de l’obésité. Toutefois, la reproductibilité de ces études chez l’homme est faible. Les auteurs se demandent également si des comparaisons à un niveau taxonomique aussi large s’avèrent utiles. Par exemple, ils affirment qu’en dépit de physiologies et de modes de vie extrêmement différents, les humains, les oiseaux, les poissons, les reptiles et les ascidies appartiennent tous au même embranchement des Chordata.

Ainsi, les termes « dysbiose » et « pathobiome » ont été inventés pour définir un « mauvais » profil de microbiote en termes de composition et/ou de fonctions ; ce profil doit être inversé par le régime alimentaire et d’autres interventions afin d’améliorer la santé de la personne.

Les auteurs reconnaissent que le terme « dysbiose » est « vague et d’une applicabilité clinique limitée », et que le terme « pathobiome » est « trop simpliste et intrinsèquement imparfait ».  En réalité, « les microorganismes et leurs métabolites ne sont ni “bons” ni “mauvais”, ils existent tout simplement », expliquent les auteurs. Bien que la grande majorité des maladies aient été associées à une « dysbiose », il est difficile de connaître le premier événement, la poule (un microbiote altéré) ou l’œuf (la maladie).

Le comportement d’un microorganisme particulier du microbiote dépend du contexte et du lieu. Par exemple, les personnes en bonne santé portent des Clostridioides difficile dans leur intestin pendant toute leur vie. En règle général, cette bactérie n’est véritablement nuisible qu’aux personnes âgées hospitalisées, en particulier celles dont le système immunitaire est faible ou celles suivant un traitement antibiotique.

 

Nous héritons de notre microbiote en grande partie à notre naissance ❌

La mère a beau transmettre directement certains microorganismes au bébé qu’elle met au monde, proportionnellement peu d’espèces du microbiote peuvent réellement être transmises et persister de la naissance de l’enfant à l’âge adulte », observent les auteurs.

L’environnement, le régime alimentaire, les antibiotiques et les gènes ont une influence plus importante sur la formation de votre microbiote que les microorganismes de votre mère.

 

La composition du microbiote intestinal diffère d’une personne à l’autre, alors que ses fonctions sont similaires ❌

Les scientifiques déduisent les fonctions du microbiote en comparant les génomes des microorganismes à des bases de données de référence. Ils avertissent que cette analyse exclut une grande quantité de données génomiques qui ne correspondent pas aux bases de données de référence. De cette façon, elle n’explore pas les fonctions moins bien caractérisées du microbiote.

En réalité, certaines fonctions sont maintenues par différentes espèces du microbiote humain (par exemple, la production d’acides gras à chaîne courte), tandis que d’autres ne sont assurées que par un petit nombre de microorganismes (par exemple, la digestion de l’amidon résistant). Près de 20 % des séquences de gènes bactériens n’ont pas été identifiées, et la fonction de 40 % des 10 millions de gènes bactériens estimés au total reste inconnue, ce qui souligne que le nombre d’inconnues existant encore sur le microbiome reste stupéfiant.

En définitive, il s’avère évident que les microorganismes qui vivent en nous et sur nous sont importants pour notre santé et constituent une manière potentiellement différente de traiter certaines maladies. Cependant, il est difficile de suivre le grand nombre d’études scientifiques existant dans ce domaine. Plus important encore, l’article de perspective publié par Walker et Hoyles montre que l’interprétation de la science du microbiome exige une bonne dose de curiosité et de scepticisme.

 

* Dans cet article, le mot « microbiote » fait référence à la communauté de microorganismes qui habitent un environnement particulier, tandis que le terme « microbiome » renvoie à l’ensemble de l’habitat, y compris les microorganismes, leurs génomes et le milieu environnant.

 

Références :

Walker AW, Hoyles L. Human microbiome myths and misconceptions. Nat Microbiol. 2023; 8(8):1392-1396. doi: 10.1038/s41564-023-01426-7.