Ces dernières années, nous avons assisté à une accélération sans précédent des découvertes dans ce domaine, grâce aux scientifiques spécialisés dans l’étude du microbiote intestinal et son influence sur l’axe intestin-cerveau — le canal de communication bidirectionnel entre le tractus digestif et le cerveau. Outre les liens entre la composition du microbiote intestinal et les maladies comme la dépression ou l’anxiété, ces études ont mis en lumière le potentiel de l’intestin pour révéler de nouvelles approches pour le diagnostic et le traitement des troubles liés au cerveau.

Jane A. Foster, professeur associé du département de psychiatrie et des neurosciences du comportement à l’université McMaster (Canada), s’est focalisée sur le microbiote intestinal et ses métabolites au cours de son étude sur le lien entre corps et cerveau. Avec une équipe de scientifiques, elle cherche dans l’intestin des paramètres qui pourraient fournir des informations sur le cerveau — notamment sur la santé mentale.

« Nous sommes en quête de systèmes de signalisation entre les bactéries de l’intestin et le cerveau, car à  long terme, nous voudrions vérifier si les biomarqueurs que nous pouvons observer à l’extérieur du cerveau ont la capacité d’indiquer ce qui se passe au sein du système nerveux central, » explique Foster.

Foster, en collaboration avec d’autres scientifiques s’intéresse au développement de nouveaux traitements pour la santé mentale influençant le microbiome intestinal, dénommés « psychobiotiques »

« En ce moment, nous menons des études sur des souris, mais aussi sur l’Homme, » explique-t-elle. « Dans le cas de l’Homme, nous sommes intéressés par les marqueurs sanguins, ou un marqueur d’urine que nous puissions utiliser comme un marqueur qui nous aide à éliminer en partie l’hétérogénéité des maladies mentales en classant les patients dans des groupes plus réduits afin de leur appliquer le traitement adéquat. »

Ceci signifierait, par exemple, qu’à partir d’un groupe ample et diversifié de patients actuellement catalogués comme dépressifs, il serait possible d’identifier des groupes plus petits avec des caractéristiques biologiques communes. Cette approche de la « médecine de précision » permettrait d’orienter les patients vers des traitements plus efficaces. Foster donne un exemple de cette stratégie : « un patient se rend chez son médecin et ce dernier peut avoir recours à une analyse de sang ou à l’ imagerie cérébrale pour identifier l’approche la mieux adaptée— que ce soit des médicaments, la stimulation neuronale ou la thérapie comportementale et cognitive — parmi tous les choix possibles pour les patients dépressifs. »

Mais Foster et l’équipe de scientifiques s’intéressent également au développement de nouveaux traitements pour la santé mentale influençant le microbiome intestinal, dénommés « psychobiotiques ».

Le terme psychobiotique a été utilisé pour la première fois par de scientifiques irlandais en 2013 et à l’origine ne s’appliquait qu’à un sous-ensemble de probiotiques potentiellement bénéfiques pour les patients atteints de maladies psychiatriques. Au dire de Foster, « les gens aiment ce terme — il les fait réfléchir, ce qui est une bonne chose. » Elle soutient la récente proposition de ces mêmes scientifiques irlandais d’élargir la définition de psychobiotique au-delà des probiotiques, pour inclure les prébiotiques et d’autres moyens d’influencer le microbiome au bénéfice de la santé mentale.

Selon Foster, certains probiotiques correspondent exactement à la définition des psychobiotiques. Une synthèse de diverses études sur les probiotiques contre la dépression ont par exemple associé les probiotiques à une diminution des symptômes de la dépression, notamment chez les patients jusqu’à 60 ans et une autre synthèse de plusieurs études a révélé que certaines espèces de probiotiques palliaient les effets de la dépression et de l’anxiété.

Foster reconnait que des études supplémentaires sur les traitements psychobiotiques avec des modèles humains sont encore nécessaires, notamment pour la compréhension de leur fonctionnement biologique — mais ils pourraient devenir une réalité plus tôt que l’on ne le pense. « Certains produits sont déjà disponibles et sont utilisés dans des essais cliniques », souligne-t-elle. « Ils sont faciles à utiliser sur la population clinique. Même s’il s’agit d’un traitement complémentaire. »

Notre compréhension de la santé mentale pourrait évoluer rapidement dans les années à venir dès que nous aurons appréhendé les nouvelles approches thérapeutiques que ces travaux intestin-cerveau rendent possibles. « Je connais peu de domaines qui évoluent aussi rapidement que celui-ci » ajoute Foster. « Les résultats obtenus avec les souris, le fait que les cliniciens en parlent immédiatement, c’est du jamais-vu. »