Le maintien d’un microbiote intestinal en bonne santé joue un rôle clé dans le maintien de l’immunité et de la santé en général. Les troubles de la composition et/ou des fonctions du microbiote intestinal, tels que la colonisation bactérienne chronique de l’intestin grêle (SIBO, en anglais), vaguement appelée « dysbiose », ont été impliqués dans une série de symptômes impliquant l’intestin et plus.

Le SIBO se définit comme la présence de bactéries anormales et en quantité excessive dans l’intestin grêle, qui produisent des symptômes gastro-intestinaux. Les bactéries du SIBO peuvent provenir du côlon. Il convient d’indiquer que les bactéries de l’intestin grêle sont différentes de celles du côlon et des selles. Les nouveaux résultats de l’étude REIMAGINE montrent que deux espèces de bactéries, – principalement Escherichia coli et Klebsiella pneumoniae , sont plus nombreuses dans le microbiote de l’intestin grêle chez les patients atteints de SIBO et qu’elles sont en corrélation avec la gravité des douleurs abdominales, de la diarrhée et des ballonnements.

Le SIBO est généralement associé à une série de symptômes gastrointestinaux non spécifiques tels que la diarrhée, la constipation, les changements d’habitudes intestinales, les ballonnements, les douleurs abdominales ou la gêne, ainsi qu’à des symptômes extradigestifs, tels que la fatigue, l’anxiété, le brouillard cérébral ou les douleurs chroniques.

Selon le microorganisme impliqué, la colonisation microbienne intestinale est classée en trois catégories : SIBO (en cas de colonisation bactérienne), IMO (colonisation par des méthanogènes intestinaux) et SIFO (colonisation par des champignons dans l’intestin grêle). Si le SIBO se caractérise par une production excessive d’hydrogène et/ou de sulfure, la production excessive de méthane est la règle en cas d’IMO. Aucun gaz particulier n’a été associé au SIFO jusqu’à présent.

 

Alors que l’essor des d’études sur le SIBO reste modeste, la surmédiatisation du SIBO sur les réseaux sociaux est exponentielle et comporte des risques pour la santé.

Dans des conditions normales, l’intestin grêle abrite beaucoup moins de microbes que la cavité buccale et le côlon, et ressemble plus à un cours d’eau rapide qu’à un marécage. La colonisation bactérienne dans l’intestin grêle trouve son origine dans la disparition des barrières physiques et chimiques qui empêchent naturellement la colonisation bactérienne dans cette partie de l’intestin. Ces barrières comprennent l’acide gastrique, les sucs produits par le pancréas et le foie, qui participent à la digestion des aliments, les mouvements naturels de l’intestin grêle (les « vagues de nettoyage » qui se produisent toutes les 90 à 120 minutes pendant le jeûne), l’intégrité de la barrière intestinale, le microbiote intestinal et la valve iléo-cæcale, qui est une barrière physique au bout de l’intestin grêle qui empêche la matière fécale ou le microbiote de refluer du gros intestin vers l’intestin grêle.

Javier Santos, gastroentérologue à l’hôpital universitaire de Vall d’Hebron, directeur du groupe de recherche sur la physiologie et la pathophysiologie du tube digestif au VHIR, CIBERehd, a expliqué par courriel à la rédaction de GMFH que le stress de la vie moderne, la qualité médiocre de l’alimentation, les additifs alimentaires et la consommation élevée de médicaments sont quelques-unes des causes de l’augmentation actuelle du SIBO. « Comme tout circule très rapidement sur les réseaux sociaux et que les symptômes du SIBO sont très peu spécifiques et qu’ils sont communs à de nombreuses personnes et à différentes pathologies, il semble que le SIBO ait augmenté. Or, l’essor des études sur le SIBO dans PubMed, -la plus grande base de données d’études scientifiques-, est modeste », a souligné M. Santos.

 

Le SIBO n’est pas un domaine nouveau

Le SIBO n’est pas nouveau. En effet, les gastroentérologues connaissent le SIBO depuis les années 1950 et 1960, car il a été associé à des maladies en lien avec les troubles digestifs ou la malabsorption. M. Santos a expliqué que le concept scientifique du SIBO était d’abord une complication associée à une chirurgie gastrointestinale, à la présence de troubles de la motilité intestinale, tels que la sclérodermie ou le diabète ou encore à une production insuffisante d’acide gastrique ; or, le SIBO est devenu un trouble épidémique présent chez des populations en bonne santé pour le reste. Le SIBO est également fréquent chez les patients présentant des symptômes proches de ceux du syndrome de l’intestin irritable, puisque près de 35 % de tous les patients souffrant du syndrome de l’intestin irritable sont atteints d’un SIBO à un moment donné de leur vie.

Bien que la cause de la colonisation microbienne intestinale ne soit pas totalement claire chez tous les patients, tout phénomène qui bloque l’intestin ou le ralentit peut potentiellement conduire au SIBO : une intoxication alimentaire a récemment été identifiée comme une cause de ralentissement du transit de l’intestin grêle chez les rats.

Les médicaments qui perturbent la motilité intestinale, tels que les antibiotiques, les opioïdes et les anticholinergiques, peuvent également favoriser la colonisation bactérienne chez certaines personnes. Toutefois, M. Santos a reconnu qu’il est courant que les patients atteints de SIBO aient également des craintes injustifiées concernant l’utilisation d’aliments tels que le gluten et de médicaments comme l’oméprazole en raison de leur potentiel à provoquer un SIBO, encore que cette relation ne soit pas prouvée en termes généraux.

 

Les tests respiratoires conduisent à de faux diagnostics de SIBO

La méthode principale et la plus simple pour diagnostiquer le SIBO est l’analyse de l’haleine, qui quantifie l’hydrogène et le méthane exhalés provenant exclusivement des microorganismes présents dans l’intestin. Cultiver le suc du contenu de l’intestin grêle est l’autre moyen de diagnostiquer le SIBO, quoiqu’il ne s’agisse pas d’une procédure courante chez les médecins. En revanche, le SIFO ne peut être diagnostiqué qu’à travers l’aspiration et la culture du contenu de l’intestin grêle et l’IMO ne peut être diagnostiqué qu’à l’aide de tests respiratoires. Il est important de noter que les symptômes cliniques et la réponse aux antibiotiques ne permettent pas de poser un diagnostic précis du SIBO.

En ce qui concerne l’interprétation des résultats des tests respiratoires, M. Santos a expliqué qu’une augmentation des concentrations de H2 ≥20 ppm par rapport aux valeurs de base permet de diagnostiquer un SIBO, tandis que la présence de niveaux de CH4 ≥10 ppm permet de diagnostiquer un IMO, lorsque ces changements surviennent dans les 90 premières minutes du test. Bien qu’il ne soit pas encore possible de déterminer la présence de sulfure d’hydrogène par un test respiratoire en Europe, il est suggéré d’interroger le patient sur l’odeur des gaz. Si celle-ci est très désagréable (« œufs pourris »), elle peut indiquer une production excessive de ce gaz malodorant.

Cependant, les tests respiratoires peuvent conduire à de nombreux faux diagnostics en raison de leur faible spécificité pour le diagnostic du SIBO, ce qui peut conduire à un surdiagnostic du SIBO. Lorsque toutes les personnes souffrant de gêne abdominale font des tests respiratoires et que ceux-ci donnent des résultats positifs, l’étape suivante consiste à leur administrer des antibiotiques non absorbables à large spectre, avec tous les risques pour la santé associés à une utilisation inappropriée des antibiotiques, tels que l’interférence avec le microbiote intestinal et l’augmentation du risque de résistance aux antibiotiques. M. Santos estime que les principales limites des tests respiratoires pour le diagnostic du SIBO et de l’IMO sont le manque de standardisation, les variations dans le temps de transit, la contamination, ainsi que les erreurs dans la préparation et la mise en œuvre des tests, lesquelles peuvent être résolues si les tests sont effectués dans un milieu spécialisé.

 

Les trois piliers dans la prise en charge du SIBO : identifier la cause, traiter le SIBO et prévenir la récurrence du SIBO.

La prise en charge du SIBO consiste à identifier la cause principale, à traiter le SIBO et à prévenir sa récurrence future. Selon M. Santos : « Le traitement du SIBO repose sur l’identification et la correction de ses causes sous-jacentes si possible (par exemple, l’arrêt des médicaments ralentissant le transit tels que les opioïdes) afin de réduire les récurrences, de corriger les carences nutritionnelles et, lorsqu’il existe des preuves, et non des soupçons, de colonisation, d’administrer un traitement antibiotique. »

Chez les patients dont la cause sous-jacente du SIBO ne peut pas être corrigée (par exemple, les patients atteints de diabète, de sclérodermie ou d’immunodéficience), le traitement doit être personnalisé et associer des thérapies antibiotiques à d’autres thérapies inoffensives contribuant à maintenir l’équilibre de l’intestin et du microbiote. Parmi ces modalités, la nutrition reste un pilier central. Elle doit être guidée par un professionnel spécialisé. Le retraitement avec des antibiotiques doit être réservé aux patients présentant un SIBO très récurrent (>4 épisodes/an), a expliqué M. Santos.

Lors de l’induction de la rémission du SIBO, le suivi d’un régime alimentaire élémentaire s’est avéré efficace pour améliorer les symptômes du SIBO chez les patients atteints du syndrome du côlon irritable et pour normaliser le test respiratoire (80 % après deux semaines et 85 % après trois semaines de traitement). Cependant, le coût et le goût des préparations alimentaires élémentaires constituent les principaux facteurs qui en limitent l’utilisation. La réduction des aliments riches en soufre pourrait être utile en cas de suspicion de SIBO de type sulfure d’hydrogène, bien qu’il n’existe pas de preuves à ce sujet.

Les antimicrobiens d’origine végétale constituent de plus en plus une alternative aux antibiotiques ou sont utilisés chez les patients qui ne réagissent pas bien aux antibiotiques. Cependant, aucune donnée n’a permis de constater une amélioration des symptômes, et le dosage adéquat, le profil de sécurité des préparations utilisées et les interactions médicamenteuses potentielles des composés sont les principales faiblesses des plantes à propriétés antimicrobiennes.

Lorsqu’il est nécessaire de contrôler ou de prévenir la récurrence du SIBO, un régime pauvre en FODMAP, qui réduit les produits fermentescibles (fibres, alcool, sucres, édulcorants et prébiotiques tels que l’inuline), est associé à une diminution de la fermentation. Or, les preuves qui l’étayent sont peu qualitatives et ce régime doit être suivi pendant de courtes périodes afin d’éviter des restrictions alimentaires inutiles. M. Santos explique que certaines études préconisent l’utilisation de prébiotiques plutôt que le suivi d’un régime FODMAP, tandis que d’autres privilégient l’ajout de 5 g/jour de gomme de guar (10 jours) pour améliorer la réponse symptomatique et le taux d’éradication avec la rifaximine chez les patients atteints de SIBO.

Faciliter et améliorer la motilité intestinale avec des médicaments prokinétiques favorisant la motilité (par exemple, octréotide, cisapride, tégaserod, érythromycine, pyridostigmine, huile de menthe poivrée, linaclotide et prucalopride) pourrait aider les patients à maintenir la rémission, même si les études publiées sont rares. L’utilisation de probiotiques dans la prise en charge du SIBO reste controversée. Alors que les probiotiques pourraient décontaminer le SIBO et soulager les douleurs abdominales, – ils ne sont pas utiles pour prévenir le SIBO-, de nouvelles données ont établi un lien entre les probiotiques et le brouillard cérébral, une augmentation de la production de méthane, ainsi que la sensation de plénitude et de distension abdominale après les repas.

 

Mots-clés : colonisation bactérienne de l’intestin grêle ; SIBO ; comment prendre en charge le SIBO ?

 

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