Douleurs abdominales, ballonnement, distension abdominale, inconfort digestif. Autant de symptômes du Syndrome de l’intestin irritable (SII), un trouble chronique qui touche plus de 10 % de la population, en majorité des femmes. Les traitements disponibles n’aboutissent pas à une guérison définitive, ne servant qu’à en atténuer les symptômes. Bien que son origine demeure inconnue à ce jour, de plus en plus de scientifiques soupçonnent que les déséquilibres au sein du microbiote intestinal pourraient jouer un rôle majeur dans son développement.

« Pour l’heure, nous n’avons trouvé aucun biomarqueur nous permettant d’établir son diagnostic. Les médecins se guident donc sur la symptomatologie pour le faire, ainsi que pour prescrire un traitement qui puisse soulager les symptômes les plus évidents », affirme Chaysavanh Manichanh, qui dirige le Laboratoire de Métagénomique de l’Institut de Recherche Vall d’Hebron (VHIR) de Barcelone.

Mais, et si les bactéries qui peuplent notre intestin pouvaient servir à diagnostiquer ce trouble et à le traiter d’une manière plus efficace ? Manichanh et son équipe ont mené une étude avec 113 personnes atteintes du symptôme de l’intestin irritable et 66 personnes saines. Dans le premier groupe, les scientifiques ont inclus les trois sous-groupes de patients de SII : ceux qui souffrent de diarrhée, de constipation chronique et ceux qui alternent diarrhée et constipation. Au total, ils ont réalisé une analyse métagénomique du microbiome de 273 échantillons fécaux.

« Nos résultats mettent en évidence que le microbiote des personnes atteintes de SII avec diarrhée diffère de celui des patients constipés. Nous avons même découvert quels sont les groupes de bactéries qui varient entre les patients », explique la chercheuse à Gutmicrobiotawatch.org.

L’étude, publiée dans la revue Nature Scientific Reports, conclut que si la composition du microbiote intestinal des personnes atteintes de SII avec constipation est similaire à celle des volontaires sains, en revanche, celle des patients souffrant de diarrhée ou de constipation et diarrhée en alternance est très différente.

« Nous avons constaté qu’en comparaison des autres groupes, la perte de diversité bactérienne est plus prononcée chez les sujets qui souffrent de diarrhée. Et cet appauvrissement concerne principalement bactéries chargées de produire du butyrate et du méthane », souligne Manichanh.

Le butyrate contribue notamment à l’imperméabilité de la barrière épithéliale de l’intestin, et de ce fait, le manque de bactéries productrices de butyrate peut faciliter le franchissement de cette barrière par les microbes de l’intestin et leur interaction avec les cellules immunitaires ou nerveuses de la paroi intestinale. Quant au méthane, les scientifiques se sont aperçus que les patients souffrant de diarrhée possèdent moins de microbes producteurs de ce gaz, qui sont en revanche très nombreux chez les personnes atteintes de constipation, et que ce type de bactérie, associée au ralentissement du contenu intestinal, était abondante…

La prochaine étape, selon Manichanch, sera de concevoir de nouvelles expériences impliquant un plus grand nombre de patients, afin de confirmer ces résultats ainsi que réussir à isoler les bactéries identifiées et établir qu’il s’agit là de mécanismes essentiels dans les différents sous-groupes de SII, ou de biomarqueurs de ce trouble. En cas de succès, ils pourraient alors se lancer dans une étude clinique visant à tracer le profil bactérien ou les bactéries impliquées dans la maladie et pouvoir ainsi appliquer un traitement spécifique à chaque groupe de patients.

Les scientifiques ont par ailleurs prévu pour l’année prochaine des recherches pour tenter de moduler le microbiote intestinal par le biais de l’alimentation. « Nous savons d’ores et déjà que ce que nous mangeons influence la composition bactérienne. Les personnes qui consomment plus de légumes, par exemple, comptent davantage de Prevotellae, tandis que les Bacteroïdes sont plus nombreux chez celles qui mangent plus de viande. Nous proposerons toute une batterie de questions à des volontaires sains ainsi qu’à des patients souffrant de SII pour connaitre leur régime alimentaire et nous analyserons ensuite leur microbiote pour découvrir s’il existe une corrélation », précise la chercheuse du VHIR.