« Je veux laisser mon empreinte dans ce monde. Et non pas simplement me trainer d’un point A à un point B jusqu’au jour de ma mort, » déclarait un patient atteint de syndrome de l’intestin irritable (SII), une maladie caractérisée par des douleur, des crampes, des ballonnements, et une alternance de diarrhée et de constipation. Cette déclaration déchirante est celle d’une personne dont le diagnostic est d’ordre digestif.

Un diagnostic lié au tractus digestif, certes, mais également lié à des maladies psychologiques comme l’anxiété et la dépression. En fait, parmi les 10-15 % de la population mondiale atteinte de SII, environ 50 % se plaignent de lourds symptômes psychologiques.

Les médecins ont longtemps cru que le cerveau était la cause des symptômes intestinaux du SII. Après tout, le SII est un trouble pour lequel aucune cause non biologique n’a été identifiée à ce jour (c’est  un trouble dit « fonctionnel »). Et cependant, de nombreuses évidences suggèrent aujourd’hui que le SII n’a pas son origine dans le cerveau. Par exemple, une étude de 2016, dans laquelle 1 900 Australiens étaient suivi pendant une longue période, a permis de découvrir que les individus avec des symptômes intestinaux de type SII sans problèmes d’humeur au début de l’étude présentaient des niveaux d’anxiété et de dépression plus élevés un an plus tard. Et parmi tous ceux qui étaient atteints de troublesgastro-intestinaux (GI) fonctionnels à la fin de l’étude, deux tiers avaient présenté des symptômes intestinaux avant les symptômes psychologiques, ce qui invalide le fait que le cerveau ait pu provoquer d’abord les symptômes GI en premier.

Pour le SII, le microbiote intestinal est un facteur qui soit provoque les symptômes psychologiques, soit contribue à leur persistance

Selon le consensus médical actuel, les symptômes psychologiques de SII pourraient tout au plus jouer un rôle dans la gravité perçue des symptômes GI et dans la dégradation de la qualité de vie du patient.

Le stress ou d’autres facteurs psychologiques ne provoquent pas les symptômes intestinaux du SII, mais les accompagnent la plupart du temps. Pourtant, à ce jour, les chercheurs n’ont pas mis en évidence d’autres facteurs qui pourraient causer à la fois les symptômes psychologiques et les intestinaux.

Une vision plus complexe de cette maladie émerge petit à petit de l’observation du microbiote intestinal des individus affectés. De nombreuses études ont en effet découvert récemment des altérations du microbiote intestinal normal chez les individus atteints de SII, bien que la nature exacte des changements varie en fonction des études. Mais en général, les patients diagnostiqués de SII semblent posséder une communauté de microbes intestinaux moins diversifiée et plus instable que celle des individus sains.

En clair, il n’a pas été démontré que le microbiote intestinal était responsable du SII, des symptômes intestinaux,  ou cérébraux. Cependant, les scientifiques sont convaincus que le réseau de communication bidirectionnelle entre le tractus GI et le cerveau (dénommé axe intestin-cerveau) est impliqué dans le SII d’une manière ou d’une autre. Et il a déjà été prouvé que l’axe intestin-cerveau est influencé par le microbiote intestinal. Par exemple, à l’aide d’études chez la souris, les scientifiques ont découvert que les maladies liées au stress (chronique ou aigu) peuvent changer l’environnement de l’intestin, en modifiant la composition du microbiote intestinal, et ce microbiote altéré pourrait à son tour être responsable des comportements assimilables à l’anxiété et à la dépression chez les souris.

Cette implication du microbiote intestinal dans les symptômes cérébraux liés au SII a été mise en lumière par une étude de 2012 qui a révélé que certains types de microbiote, comparables à une signature étaient en corrélation non seulement avec la vitesse à laquelle les matières se déplacent le long du colon, mais aussi avec les niveaux de dépression signalés.

Actuellement, l’opinion la plus répandue, parmi les scientifiques, sur le microbiote intestinal dans le SII est que : soit il provoque les symptômes psychologiques, soit il contribue à leur persistance. Mais il faudra attendre de nouvelles études chez l’Homme pour démêler l’origine complexe de ce trouble.

Étant donné que les symptômes et les communautés bactériennes dans le SII semblent un objectif insaisissable, cela pourrait prendre des années avant que les médecins puissent vraiment comprendre en quoi consiste le SII. Et pourtant, les liens entre le SII et le microbiote intestinal pourraient, en définitive, constituer une bonne nouvelle. Ils offrent la possibilité de moduler le microbiote intestinal de sorte à traiter les symptômes cérébraux ou intestinaux associés à ce trouble. S’il est confirmé que ces symptômes si gênants dépendent des altérations du microbiote intestinal, cibler l’intestin avec des traitements comme les probiotiques pourrait faire toute la différence pour les personnes atteintes de SII.

La recherche sur les probiotiques a une longueur d’avance : il existe suffisamment d’éléments étayant l’idée que cibler la communauté microbienne intestinale avec des microorganismes vivants peut réduire la douleur et la sévérité globale des symptômes des individus atteints de SII. Cependant, les études sur l’utilisation des probiotiques comme traitement de l’anxiété et de la dépression dans le SII restent rares. Un objectif important pour les années à venir sera donc de découvrir si les probiotiques sont des stratégies utiles pour traiter un trouble qui n’est pas que « dans notre tête ».