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Les antibiotiques peuvent appauvrir irrémédiablement vos bactéries intestinales

Depuis l’an 2000, la consommation mondiale d’antibiotiques a augmenté de 66 %, et cette tendance se poursuit à un rythme rapide1. Les antibiotiques, qui sauvent d’innombrables vies chaque année, constituent un pilier de la médecine moderne. Or, ils peuvent également perturber l’équilibre fragile de l’écosystème intestinal. Les bactéries intestinales les plus touchées par les antibiotiques sont les Bacteroidetes, les Firmicutes et les actinobactéries. Ces groupes jouent un rôle prépondérant dans le microbiome intestinal. Ainsi, ils métabolisent les fibres alimentaires et les polyphénols, synthétisent des vitamines, régulent le système immunitaire, préservent l’intégrité de la barrière intestinale et protègent contre les agents pathogènes entériques2.

Cependant, un microbiome intestinal moins diversifié conduit directement à la formation d’un nouvel écosystème dans lequel les bactéries bénéfiques peuvent être incapables d’assurer le contrôle de Clostridioides difficile et d’autres bactéries pathogènes résidant naturellement dans l’intestin comme C. perfringens, Staphylococcus aureus et Klebsiella oxytoca. Et ces agents pathogènes peuvent proliférer dès le moment où le microbiote intestinal qui les contrôle est anéanti2, 3.

Au-delà de la perte de bactéries protectrices, le recours excessif aux antibiotiques – en particulier, lors d’une prescription inappropriée – est un facteur clé dans le développement d’agents pathogènes résistants aux antibiotiques. Et c’est la sélection naturelle des bactéries les plus résistantes aux médicaments qui est à l’origine de ce phénomène. Il en résulte une prolifération de bactéries résistantes aux antibiotiques, certaines étant capables de dégrader les antibiotiques dans l’intestin et de protéger d’autres agents pathogènes contre les effets des antibiotiques. Cela entraîne in fine une baisse de l’efficacité des antibiotiques4. Toutefois, d’autres mécanismes de résistance interviennent également. La prolifération de microbes résistants aux médicaments est responsable de plus d’un million de décès et est reconnue par les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies comme une menace majeure pour la santé publique5.

 

L’exposition aux antibiotiques peut avoir à long terme des conséquences sur la santé

L’exposition aux antibiotiques au cours de la petite enfance est associée à un risque accru d’infections, d’asthme, d’obésité, de maladies inflammatoires de l’intestin et de troubles neurodéveloppementaux tout au long de la vie. Ces effets sont largement liés à la capacité des antibiotiques à perturber le microbiome intestinal, ce qui entraîne une augmentation de la perméabilité intestinale et de l’inflammation, une réduction des niveaux d’acides gras à chaîne courte, ainsi qu’une altération du développement des cellules immunitaires6.

Les antibiotiques peuvent agir durablement sur le microbiome intestinal des adultes. Des études récentes sur des adultes en bonne santé ont d’ailleurs montré que la diversité du microbiome intestinal était perturbée dès le lendemain de la fin du traitement et que ces modifications pouvaient durer jusqu’à six mois7, 8. Le microbiome intestinal de ces participants en bonne santé sous traitement antibiotique temporaire ressemblait à celui d’un patient en unité de soins intensifs9. Du reste, le microbiome intestinal de certaines personnes sous traitement antibiotique peut servir de réservoir de gènes de résistance susceptibles d’être transmis à d’autres personnes10. Les antibiotiques peuvent faire passer le microbiome intestinal à un autre état stable, avec une série d’implications que nous commençons à peine à entrevoir10-12.

 

Comment peut-on atténuer les effets indésirables des antibiotiques ? Voici ce que suggèrent les données des toutes dernières études en la matière

Les effets indésirables des antibiotiques, tels que la diarrhée, les flatulences, les crampes et les nausées, sont souvent dus à un appauvrissement de la diversité microbienne du microbiome intestinal. Pour maintenir ou restaurer le microbiome intestinal après un traitement antibiotique, les stratégies actuelles comprennent le remplacement de la communauté par des probiotiques ou l’administration de prébiotiques3.

Les données scientifiques les plus fiables à notre disposition suggèrent que certains probiotiques peuvent avoir un effet modéré sur la prévention de la diarrhée associée aux antibiotiques chez les enfants, les adultes et les personnes âgées13. C’est la capacité des probiotiques à stimuler la production d’acides gras à chaîne courte, à protéger le microbiome intestinal résident et l’intégrité de la barrière intestinale, ainsi qu’à protéger contre l’inflammation locale qui en est la cause14. Toutefois, ce bénéfice est spécifique à une souche, ce qui signifie que tous les probiotiques ne sont pas efficaces contre la diarrhée associée aux antibiotiques13, 14.

Tous les probiotiques ne sont pas efficaces pour restaurer la santé intestinale après une prise d’antibiotiques15. Cependant, deux probiotiques qui ont fait l’objet d’études – la levure Saccharomyces boulardii CNCM I-745 et la bactérie Lacticaseibacillus rhamnosus GG – se sont révélés prometteurs, notamment chez les enfants et les adultes présentant un risque de diarrhée associée aux antibiotiques13, 14. Les levures probiotiques présentent des avantages par rapport aux probiotiques de nature bactérienne, notamment une meilleure survie dans les conditions difficiles de l’estomac, ce qui leur permet d’atteindre l’intestin grêle et le gros intestin dans un état actif. Elles continuent ainsi d’être efficaces lorsqu’elles sont administrées en même temps que des antibiotiques16.

Pour renforcer les avantages des probiotiques, ceux-ci devraient être introduits au début du traitement antibiotique, des doses plus élevées s’avérant généralement plus efficaces que des doses plus faibles. Dans la plupart des essais cliniques, les probiotiques ont été administrés pendant toute la durée du traitement antibiotique, puis pendant sept jours supplémentaires. Mais, après l’arrêt des antibiotiques, nous ignorons quelle est la durée d’administration optimale des probiotiques pour rétablir l’écosystème intestinal17.

Une alimentation pauvre en fibres peut exacerber l’impact des antibiotiques sur le microbiome intestinal et retarder le rétablissement, ce qui témoigne de l’importance des fibres prébiotiques pour le rétablissement du microbiome intestinal après une prise d’antibiotiques18. Les prébiotiques de type mucin glycans et gomme xanthane peuvent favoriser la croissance des microorganismes intestinaux bénéfiques du microbiome, empêcher la colonisation des bactéries pathogènes et stimuler la production d’acides gras à chaîne courte dans l’intestin après la prise d’antibiotiques3. Après un traitement antibiotique, la consommation d’aliments riches en fibres fermentescibles peut contribuer au rétablissement des bactéries intestinales saines et est associée à une réduction de la résistance aux antibiotiques19.

Parmi les autres outils potentiels pour restaurer la santé intestinale après la prise d’antibiotiques, on compte les transplantations de microbiote fécal encore qu’elles ne soient pas encore largement répandues. Une transplantation de microbiote fécal provenant du même individu pourrait permettre une restauration plus rapide du microbiome20, de même que l’utilisation de communautés définies de microorganismes, telles que des consortia microbiens vivants, purifiés ou synthétiques3. Les chercheurs se penchent également sur la possibilité d’utiliser des médicaments non antibiotiques en même temps que des antibiotiques pour améliorer leur efficacité sans nuire aux bactéries intestinales bénéfiques21. Parmi les autres stratégies pour atténuer les conséquences de la prise d’antibiotiques, citons la réduction des niveaux d’antibiotiques dans l’intestin par dégradation enzymatique ou séquestration, une méthode qui contribue à minimiser les impacts négatifs majeurs sur la composition et la fonction du microbiome intestinal3.

 

Références :

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  2. Ramirez J, Guarner F, Bustos Fernandez L, et al. Antibiotics as major disruptors of gut microbiota. Front Cell Infect Microbiol. 2020; 10:572912. doi: 10.3389/fcimb.2020.572912.
  3. Fishbein SRS, Mahmud B, Dantas G. Antibiotic perturbation to the gut microbiome. Nat Rev Microbiol. 2023; 21(12):772-788. doi: 10.1038/s41579-023-00933-y.
  4. Gjonbalaj M, Keith JW, Do MH, et al. Antibiotic degradation by commensal microbes shields pathogens. Infect Immun. 2020; 88(4):e00012-20. doi: 10.1128/IAI.00012-20.
  5. Antimicrobial Resistance Collaborators. Global burden of bacterial antimicrobial resistance in 2019: a systematic analysis. Lancet. 2022; 399(10325):629-655. doi: 10.1016/S0140-6736(21)02724-0.
  6. Huang H, Jiang J, Wang X, et al. Exposure to prescribed medication in early life and impacts on gut microbiota and disease development. EClinicalMedicine. 2024: 68:102428. doi: 10.1016/j.eclinm.2024.102428.
  7. Anthony WE, Wang B, Sukhum KV, et al. Acute and persistent effects of commonly used antibiotics on the gut microbiome and resistome in healthy adults. Cell Rep. 2022; 39(2):110649. doi: 10.1016/j.celrep.2022.110649.
  8. Palleja A, Mikkelsen KH, Forslund SK, et al. Recovery of gut microbiota of healthy adults following antibiotic exposure. Nat Microbiol. 2018; 3(11):1255-1265. doi: 10.1038/s41564-018-0257-9.
  9. Sukhum KV, Newcomer EP, Cass C, et al. Antibiotic-resistant organisms establish reservoirs in new hospital built environments and are related to patient blood infection isolates. Commun Med. 2022; 2:62. doi: 10.1038/s43856-022-00124-5.
  10. de Nies L, Kobras CM, Stracy M. Antibiotic-induced colateral damage to the microbiota and associated infections. Nat Rev Microbiol. 2023; 21(12):789-804. doi: 10.1038/s41579-023-00936-9.
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  12. Haak BW, Lankelma JM, Hugenholtz F, et al. Long-term impact of oral vancomycin, ciprofloxacin and metronidazole on the gut microbiota in healthy humans. J Antimicrob Chemother. 2019; 74(3):782-786. doi: 10.1093/jac/dky471.
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