Nous mangeons essentiellement parce que nous avons faim. Et la raison pour laquelle nous ne sommes en général pas capables de manger un gâteau au chocolat en entier est qu’à un moment donné, nous nous sentons rassasiés. Les hormones que nous secrétons sont les principales responsables de cette sensation de satiété. Or, de récentes études scientifiques ont également pointé du doigt les microbes intestinaux, qui pourraient exercer une certaine influence sur notre appétit.

Les microbes intestinaux pourraient-ils provoquer des envies ? Pourraient-ils vous faire sentir insatisfait jusqu’à ce que vous mangiez la nourriture dont ils ont besoin pour leur propre survie ? Un commentaire scientifique publié dans BioEssays en 2014 se posait justement ces questions. Les auteurs argumentaient que les microbes intestinaux dépendent de leur hôte humain pour leur survie, et de ce fait, lorsque certaines espèces de bactéries ont besoin d’un nutriment pour se développer, elles pourraient concevoir des manières de vous pousser à consommer ce nutriment en question. À l’époque, les auteurs n’étaient pas encore en mesure de répondre à ces interrogations, étant donné le peu d’indices dont ils disposaient. Ils ont en revanche dressé une sorte de compte-rendu des manières dont les microbes pourraient théoriquement contrôler le comportement alimentaire de leur hôte : en altérant les récepteurs du goût ou en influant sur les hormones liées à l’appétit, par exemple.

Mais voilà qu’une nouvelle étude a apporté des preuves préliminaires soutenant l´idée que le microbiote intestinal pourrait affecter l’appétit à travers les hormones. Les chercheurs ont commencé par cultiver des bactéries normalement bénignes, E. coli K12, dans une boîte de Petri et leur ont apporté des nutriments deux fois par jour  (chaque 12 heures). Le nombre de E. coli croissait exponentiellement lorsque l’on ajoutait ces nutriments. Les chercheurs ont dénommé cette étape la « phase de croissance exponentielle ». Au bout d’environ vingt minutes, la croissance se stabilisait, elle entrait en « phase stationnaire ».

Les E. coli ressemblent à de minuscules usines fabriquant différentes sortes de protéines pendant les phases exponentielle et stationnaire. Pendant la phase de croissance stationnaire, les bactéries ont produit un nombre particulièrement élevé de protéines dénommées protéases caséinolytiques B (ClpB), qui imitent les hormones chargées de signaler la sensation de satiété.

Les chercheurs ont ensuite nourri un groupe de rats uniquement avec des protéines produites pendant les phases exponentielle et stationnaire. Ils ont alors constaté que les protéines issues de la croissance exponentielle stimulaient une hormone de la satiété, le peptide GLP-1 (glucagon-like peptide 1) dans le sang des rongeurs, tandis que celles de la phase de croissance stationnaire stimulaient une hormone de la satiété encore plus puissante, le peptide YY, qui réduisait la consommation de nourriture du rat. Les scientifiques en ont déduit que les bactéries stimulaient des hormones réduisant l’appétit à travers leurs protéines messagères. De plus, la protéine abondante pendant la phase stationnaire, ClpB, augmentait également l’activité des neurones liés à la réduction de l’appétit dans les cerveaux des rats.

Les résultats de cette étude suggèrent que les protéines sécrétées par les bactéries intestinales pourraient être capables de vous signaler que vous n’avez plus faim. Ceci ne veut bien sûr pas dire que, confronté à un sachet de chips, vous soyez complètement à la merci de vos microbes. Les recherches dans ce domaine doivent se poursuivre afin de pouvoir déterminer comment ces signaux bactériens fonctionnent chez les humains et comment les intégrer dans tout ce que nous connaissons déjà sur le contrôle de l’appétit.

 

Références :

Alcock J, Maley CC, Aktipis CA. Is eating behavior manipulated by thegastrointestinal microbiota? Evolutionary pressures and potential mechanisms. Bioessays. 2014; 36: 940-949. doi: 10.1002/bies.201400071

Breton J, Tennoune N, Lucas N, et al. Gut Commensal E. coli Proteins Activate Host Satiety Pathways following Nutrient-Induced Bacterial Growth. Cell Metabolism. 2016; 23(2): 324–334. doi: http://dx.doi.org/10.1016/j.cmet.2015.10.017