Les maladies cardiovasculaires constituent la principale cause de décès dans le monde. Elles sont à l’origine de trois décès sur dix. Aujourd’hui, il est de plus en plus évident que les changements qui interviennent dans la composition des bactéries intestinales peuvent également affecter le cœur1.

Cette influence est due en grande partie aux composés chimiques excrétés par ces microorganismes, lesdits métabolites. Il a été démontré que certains de ces métabolites, tels les acides gras à chaîne courte, favorisent directement une bonne santé physique et mentale. D’autres, en revanche, sont liés à des lésions des parois artérielles, à une augmentation du taux de cholestérol et à un risque accru d’athérosclérose. Cette maladie inflammatoire des parois artérielles entraîne une accumulation de graisses qui forment des plaques ; celles-ci peuvent se rompre et former des caillots qui provoqueront des complications graves telles que des crises cardiaques ou des accidents vasculaires cérébraux (AVC).

 

Certains métabolites bactériens ont un rôle crucial

L’un des facteurs les plus étudiés et les mieux étayés est le TMAO ou N-oxyde de triméthylamine2. Ces bactéries intestinales produisent cette molécule lorsque l’alimentation est très riche en graisses et en protéines. Des études scientifiques et des méta-analyses ont montré que des niveaux élevés de ce composé étaient associés à un risque accru d’incidents cardiovasculaires majeurs, tels que des crises cardiaques (62 %), et à un risque accru de mortalité toutes causes confondues (63 %)3.

Où trouve-t-on ce composé ? Dans les viandes rouges transformées et les poissons qui contiennent des nutriments comme la choline, la lécithine, la carnitine et la bétaïne. Les bactéries intestinales transforment ces nutriments en TMA (triméthylamine). Une fois que cette molécule pénètre dans la circulation sanguine et atteint le foie, elle est transformée en TMAO. En quantités modérées, l’organisme élimine le TMAO à travers l’urine. Cependant, lorsque celui-ci est présent en concentrations sériques élevées, il a été démontré qu’il endommage l’endothélium des vaisseaux sanguins, ce qui favorise l’inflammation, l’athérosclérose et d’autres événements cardiovasculaires, tels que les crises cardiaques3.

 

L’inflammation : un facteur déterminant dans la santé cardiovasculaire

L’inflammation est un autre mécanisme impliquant le microbiote intestinal dans les maladies cardiovasculaires. Certains métabolites produits par les bactéries, à l’instar des bactéries elles-mêmes, déclenchent la réponse du système immunitaire en s’introduisant dans la circulation sanguine en tant que substances étrangères.

Soixante-dix pour cent des cellules immunitaires se trouvent dans l’intestin. De là, elles détectent les bactéries ou molécules franchissant la barrière intestinale et entrant dans la circulation sanguine. Pour les éliminer avant qu’elles ne causent de dommages, les cellules immunitaires déclenchent une réponse inflammatoire qui se désactive sitôt ce processus d’élimination terminé.

Cependant, lorsque l’inflammation devient chronique, elle peut affecter les vaisseaux sanguins et leur faire perdre leur élasticité en les durcissant et les rétrécissant. La circulation sanguine est perturbée et l’apport en oxygène et nutriments dans l’organisme réduit.

Certaines bactéries, comme celles des genres Clostridium ou Eubacterium genera, jouent un rôle néfaste dans les maladies cardiovasculaires puisqu’elles activent le système immunitaire et provoquent un état pro-inflammatoire4 qui accélère le développement de la maladie. D’ailleurs, l’idée du rôle des bactéries dans la progression de l’athérosclérose est confortée par la découverte d’ADN bactérien dans les plaques des parois artérielles.

À l’inverse, d’autres bactéries, comme Bifidobacterium ou Akkermansia genera, régulent le système immunitaire en le ramenant à un état anti-inflammatoire qui retarde la progression des maladies cardiovasculaires.

 

À la recherche de nouvelles thérapies ciblées

Au Centre national espagnol de recherche cardiovasculaire (CNIC), le groupe de David Sancho a identifié un métabolite nocif produit par le microbiote, qui contribue au développement de l’athérosclérose. Cette équipe mène des expériences sur des modèles animaux et sur l’être humain afin de mieux comprendre le rôle de ce métabolite dans la progression de la maladie.

« Si nous comprenons comment [ce métabolite bactérien] provoque l’athérosclérose, nous pourrons développer des thérapies ciblées », explique Sancho lors d’un entretien avec Gut Microbiota for Health. Il ajoute que ce métabolite associé à l’inflammation n’influe pas sur les taux de cholestérol, c’est pourquoi il pourrait être utilisé parallèlement aux thérapies actuelles pour réduire le cholestérol.

La relation entre les bactéries et l’athérosclérose implique également le métabolisme des graisses. Des chercheurs de l’université de Sheffield sont en train d’étudier si la modification des bactéries intestinales de la souris peut influencer le développement de l’athérosclérose et ralentir sa progression.

Une étude menée par le Broad Institute du Massachusetts Institute of Technology (MIT) et l’université de Harvard, en collaboration avec le Massachusetts General Hospital, a permis d’identifier des microbes intestinaux ayant une incidence sur la santé cardiovasculaire. Publiée dans la revue Cell, l’étude a identifié des espèces bactériennes intestinales qui consomment du cholestérol et réduisent ainsi le risque cardiovasculaire5.

En analysant les métabolites bactériens et les génomes de plus de 1 400 personnes, les chercheurs ont constaté que les individus présentant des niveaux plus élevés d’Oscillibacter dans leur intestin avaient des taux de cholestérol plus bas. L’étude a également permis de découvrir le mécanisme utilisé par ces bactéries pour digérer le cholestérol en le décomposant afin que d’autres bactéries puissent le dégrader puis l’excréter.

Comme pour de nombreuses autres maladies, les déséquilibres du microbiote ont également une influence sur la santé cardiovasculaire. Chercheur postdoctoral au CNIC, Iñaki Robles remarque lors d’un entretien avec Gut Microbiota for Health que plusieurs études ont établi un lien entre ces déséquilibres et l’hypertension. Au cours de la dernière décennie, de nombreuses études ont confirmé que les bactéries intestinales jouaient un rôle dans la régulation de la pression artérielle6 par le biais de plusieurs mécanismes, tels que les métabolites nocifs et l’inflammation. En ce sens, comme cela a déjà été démontré, une consommation élevée de sel a un impact sur le microbiote intestinal7, en particulier sur la diminution des Lactobacillus. Et il en résulte une augmentation des niveaux de cellules immunitaires dans l’intestin qui contribue à l’augmentation de la pression artérielle. D’autre part, les fibres alimentaires peuvent contribuer à réguler la pression artérielle8 lorsque le métabolisme est médié par le microbiote intestinal.

 

Que nous réserve l’avenir ?

À l’avenir, la compréhension des métabolites qui contribuent aux maladies cardiovasculaires ouvrira la voie à de nouvelles stratégies thérapeutiques aussi bien dans le domaine de la prévention que du traitement. Ainsi, les patients atteints de maladies cardiovasculaires pourraient se voir prescrire des régimes riches en fibres et en aliments fermentés afin de réduire les déséquilibres bactériens et d’améliorer les résultats. Les chercheurs étudient également les probiotiques qui peuvent être de potentiels alliés puisqu’ils renforcent la présence de bactéries bénéfiques. Ils mènent par surcroît des recherches pour savoir si les bactéries pourraient être employées comme des cibles thérapeutiques pour développer des médicaments.

 

Références :

  1. Tang WH W, Hazen LS. Unraveling the Complex Relationship Between Gut Microbiome and Cardiovascular Diseases. Circulation. 2024. https://doi.org/10.1161/CIRCULATIONAHA.123.067547
  2. Trøseid M, Andersen G, Broch K. et al. The gut microbiome in coronary artery disease and heart failure: Current knowledge and future directions. EBioMedicine. 2020 Feb;52:102649. doi: 10.1016/j.ebiom.2020.102649.
  3. Belli M, Barone L, Longo S et al. Gut Microbiota Composition and Cardiovascular Disease: A Potential New Therapeutic Target?v Int. J. Mol. Sci. 2023, 24(15), 11971; https://doi.org/10.3390/ijms241511971
  4. Novakovic M, Rout A, Kingsley T, et al. Role of gut microbiota in cardiovascular diseases. World journal of cardiology 12.4 (2020): 110-122. doi: 10.4330/wjc.v12.i4.110
  5. Li C, Stražar M, et al. Gut microbiome and metabolome profiling in Framingham Heart Study reveals cholesterol-metabolizing bacteriaCell. Online April 2, 2024. DOI:10.1016/j.cell.2024.03.014.
  1. O’Donnell, J.A., Zheng, T., Meric, G. et al. The gut microbiome and hypertension. Nat Rev Nephrol 19, 153–167 (2023). doi.org/10.1038/s41581-022-00654-0
  2. Wilck, N., Matus, M., Kearney, S. et al.Salt-responsive gut commensal modulates TH17 axis and diseaseNature 551, 585–589 (2017). doi.org/10.1038/nature24628
  3. Xu C, Marques FZ. How Dietary Fibre, Acting via the Gut Microbiome, Lowers Blood PressureCurr Hypertens Rep. 2022;24(11):509-521. doi:10.1007/s11906-022-01216-2