À la veille du Nouvel An, alors que le monde se prépare à fêter l’arrivée de 2020, les autorités sanitaires de Wuhan ont rapporté des cas de pneumonie d’étiologie inconnue. Le reste de l’histoire nous est désormais bien connu : le nouveau coronavirus SARS-CoV-2, responsable de la pandémie de la COVID-19, a entrainé quelque 35 millions de cas et presque un million de morts à ce jour. Aujourd’hui, certains chercheurs commencent à mettre en avant un autre acteur, potentiellement très important, et jusqu’à présent sous-estimé, influençant ces évènements catastrophiques : le microbiote intestinal.

Cette hypothèse est soutenue par Francisco Guarner, principal chercheur du groupe Physiologie et Pathophysiologie du Tube Digestif à l’hôpital Vall d’Hebron (Barcelone), ainsi que membre du board de directeurs de la section « Gut Microbiota and Health » de ESNM. Dans un article paru dans le journal espagnol La Vanguardia, le Docteur Guarner déclare qu’il est temps de considérer l’idée qu’un microbiote intestinal sain aurait un effet protecteur contre la COVID-19.

Apportons quelques précisions. Les statistiques sur la pandémie soulignent que les personnes âgées de plus de 65 ans, sont le groupe le plus à risque d’être atteint de COVID-19 et de développer une forme sévère de la maladie, avec les personnes souffrant d’obésité, de diabète, de cancer ou de maladies cardiovasculaires et pulmonaires. La plupart des personnes décédées ou gravement touchées par l’infection présente des conditions médicales communes. Elles souffrent d’hypertension artérielle, sont diabétiques et/ou sont en situation d’obésité.

Parce que les changements dans la composition du microbiote intestinal observés dans ces maladies métaboliques sont exactement les mêmes que ceux liés au vieillissement, faut-il y voir un rôle du microbiote ?

Comme nous l’avons déjà évoqué dans des articles précédents, la communauté de microorganismes présente dans l’intestin évolue au cours de la vie. La colonisation microbienne commence dès la naissance ; la maturité adulte du microbiote est atteinte après les trois premières années de vie et une réduction dans sa diversité apparait en vieillissant. Ce phénomène s’exacerbe avec le temps chez les personnes âgées vivant en maisons de retraite.

Selon un rapport de l’International Long Term Care Policy Network, être confiné en foyer ou en maison de retraite augmente la probabilité de décès des suites de la Covid-19, comparativement au fait de vivre le confinement à la maison — à noter que les statistiques diffèrent d’un pays à l’autre.

Guarner signale dans l’article que la plupart des cas d’infection au coronavirus sont asymptomatiques et modérés. « La mort survient lorsque le système immunitaire s’emballe » et « la mortalité élevée recensée en   maison de retraite pourrait être liée à une réponse inflammatoire inappropriée à l’infection au coronavirus ».

Le microbiote intestinal joue un rôle prépondérant dans la phase d’apprentissage à laquelle le système immunitaire est confronté dès les premiers moments de la vie et garantit également son bon fonctionnement par la suite. L’un des processus naturels associés au vieillissement est l’incapacité à fournir des réponses immunitaires adaptées, ainsi qu’une inflammation causée par un excès de cytokines. Selon une étude de Guarner publiée en 2012, l’activation chronique de cytokines — très commune au cours du vieillissement — est également liée à la perte de diversité du microbiote intestinal, conduisant à un cercle vicieux.

« Cette situation d’inflammation chronique — connue sous le nom “inflammaging” en anglais — est beaucoup plus fréquente chez les personnes âgées vivant en maison de retraite que chez celles vivant à domicile auprès de leurs proches », déclare-t-il dans l’article. Il ajoute que « cette perte de diversité du microbiote intestinal pourrait être liée à la prise fréquente d’antibiotiques dans les Établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) » et aussi à une alimentation déséquilibrée.

Certaines espèces de bactéries sont bénéfiques, car elles possèdent des propriétés anti-inflammatoires ou contribuent à diminuer l’inflammation. Elles jouent également des rôles différents dans les phases d’apprentissage et la régulation du système immunitaire, ce qui signifie qu’elles peuvent potentiellement prévenir ou alléger les altérations immunitaires conduisant aux formes sévères de laCOVID-19.

Ainsi, les scientifiques cherchent désormais à élucider le rôle possible du microbiote intestinal dans la protection ou au contraire à l’augmentation du risque de contracter une forme sévère de l’infection. Selon Guarner, l’une des hypothèses est due au profil du microbiote intestinal qui pourrait permettre d’identifier les personnes vieillissant avec plus de complications au niveau de la santé (celles présentant des niveaux d’inflammation plus élevés). Les professionnels de santé pourraient ainsi intervenir au niveau de leur alimentation ou dans la prise de traitements médicamenteux afin de rétablir une composition du microbiote adaptée. Il conclut : « Ces mesures pourraient protéger les personnes âgées contre les formes sévères de la COVID-19 et potentiellement réduire la mortalité chez celles résidant en maison de retraite. »