Votre intestin grêle est le siège d’un tissu essentiel pour votre système immunitaire : le tissu lymphoïde associé à l’intestin (GALT en anglais). C’est au sein de ce GALT que les cellules de votre corps interagissent à la fois avec les bactéries et les cellules immunitaires. Les résultats de ces interactions déterminent si vous pouvez tolérer les éléments présents dans votre intestin — que ce soit un composant alimentaire ou un microbe étranger — ou si au contraire, votre système immunitaire doit attaquer et vous défendre contre des intrus. Une nouvelle étude a révélé que les bactéries intestinales commensales présentes dans le GALT contribuent à la formation d’une cellule immunitaire permettant à l’hôte de fonctionner normalement en tolérant les substances inoffensives de l’environnement extérieur.
C’est au sein de ce GALT que les cellules du corps interagissent à la fois avec les bactéries et les cellules immunitaires
Dans cette étude publiée dans Science, des chercheurs de la Faculté de Médecine de l’Université de Washington à St Louis, aux États-Unis, ont étudié le processus de création d’une cellule immunitaire unique : un type de cellule T dénommée « lymphocyte intraépithélial double-positif » (DP IEL). Ces cellules sont présentes dans l’intestin grêle et aident habituellement le corps à tolérer les composants alimentaires et autres molécules extérieures, en mitigeant les réponses immunitaires. L’un des rôles principaux du système immunitaire est en effet de différencier le « soi » du « non-soi » dans l’organisme. Lorsqu’un élément, tel qu’un composant alimentaire, est identifié comme du « non-soi » , deux cas de figure se présentent : soit l’organisme le tolère (tolérance), soit il ne le tolère pas et amorce une réaction allergique (allergie). La tolérance permet à l’organisme de vivre en harmonie avec les aliments et autres substances étrangères.
Les chercheurs n’ont pas retrouvé de DP IEL chez les souris dépourvues de germes, vivant dans un environnement stérile et de ce fait, non exposées aux bactéries. Faut-il en conclure que les bactéries intestinales jouent un rôle dans la production de ces cellules immunitaires favorisant la tolérance ? Pour répondre à cette question, les chercheurs ont colonisé l’intestin de souris dépourvues de germes avec des bactéries du genre Lactobacillus et du genre Bacteroides. Ils ont alors constaté qu’en effet, un type de bactérie conduisait à la fabrication de DP IEL chez les souris : Lactobacillus reuteri. Et curieusement, l’ajout d’autres espèces de bactéries, bien que n’induisant pas la production de DP IEL, renforçait l’effet de L. reuteri.
Les scientifiques ont également observé qu’un certain composant alimentaire devait être présent dans la nourriture des souris pour initier cette production de DP IEL : le L-tryptophane, un acide aminé essentiel constituant de base des protéines. Le tryptophane est retrouvé dans des aliments tels que le soja, le lait, les fruits secs, les œufs, et les yaourts. La substance active intervenant dans la production de DP EIL s’est révélée être un produit dérivé du métabolisme du tryptophane dénommé acide indole-3— lactique. Par ailleurs, davantage de DP IEL ont été recensés chez les souris nourries avec des aliments riches en L-tryptophane.
Au vu de ces résultats, les chercheurs ont conclu que, chez les souris étudiées, L. reuteri « collaborait » avec le tryptophane issu de l’alimentation pour produire les DP IEL.
La tolérance des éléments présents dans l’intestin dépendra du lien entre les cellules du corps, les bactéries et les cellules immunitaires
Le fait que la maturation des cellules immunitaires anti-inflammatoires DP IEL dépende de L. reuteri et des métabolites du tryptophane est juste un nouvel exemple de travail en équipe entre alimentation et microbes en tant que facteur important dans ces processus immunitaires.
Par contre, nous ne savons pas si le processus est exactement le même chez l’Homme. Cependant, « … nous devons sans doute encourager le développement de ces cellules, étant donné qu’elles contrôlent l’inflammation à la surface interne des intestins, » explique l’auteur principal, Luisa Cervantes-Barragan, de la Faculté de Médecine de l’Université de Washington. « Des niveaux élevés de tryptophane en présence de L. reuteri induiraient potentiellement la croissance de cette population. » Les auteurs estiment qu’un jour, les recherches aboutiront à de nouvelles interventions pour traiter les maladies liées à l’inflammation telles que les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin, en les modulant grâce aux DP IEL.
Référence :
Cervantes-Barragan L, Chai JN, Tianero MD, DiLuccia B, Ahern PP, Merriman J, Cortez VS, Caparon MG, Donia MS, Gilfillan S, Cella M, Gordon JI, Hsieh C-S, Colonna M. Lactobacillus reuteri induces gut intraepithelial CD4 CD8 alpha alpha T cells. Science. 2017 ; 357 (6353) : 806-810. doi : 10.1126/science.aah5825.