À partir de quel moment notre microbiote intestinal, notre intestin et notre foie interagissent-ils ?
À la naissance, le passage d’une alimentation ombilicale à une alimentation intestinale favorise une communication bidirectionnelle entre le microbiote intestinal, le système immunitaire et le métabolisme. C’est à ce moment que l’axe microbiote-intestin-foie est créé. Cet axe est essentiel pour préserver la santé générale en ce qu’il contribue à réguler les réponses immunitaires, les processus métaboliques et la détoxification en s’appuyant sur plusieurs barrières pour protéger et filtrer les substances de l’intestin avant qu’elles n’entrent dans la circulation sanguine.
Au fil du temps, le mode de vie, et notamment l’alimentation, l’exercice et la prise d’antibiotiques, peut modifier le microbiote intestinal et perturber la communication entre l’intestin et le foie. Ces altérations sont liées à diverses maladies du foie. Si la maladie est causée par un dysfonctionnement métabolique, on l’appelle maladie hépatique stéatosique associée à un dysfonctionnement métabolique (MASLD, en anglais) ; si la maladie est liée à un abus d’alcool, on l’appelle maladie hépatique associée à l’alcool (ALD, en anglais). Ces deux pathologies, qui débutent par une accumulation anormale de graisse dans le foie, évoluent vers la stéatose, l’hépatite, la cirrhose, voire le carcinome hépatocellulaire. À un stade avancé, ces maladies peuvent également provoquer une encéphalopathie hépatique, un trouble cérébral grave dû à la capacité réduite du foie à filtrer les toxines.
En quoi le microbiote intestinal influence-t-il la communication entre l’intestin et le foie ?
Les interactions entre l’intestin et les autres organes, le foie y compris, sont étroitement régulées par trois barrières défensives1 :
- la barrière intestinale : les sous-produits microbiens (par exemple, les acides gras à chaîne courte, l’indole) et les acides biliaires dérivés du foie contribuent à préserver l’homéostasie épithéliale et l’intégrité de la barrière;
- la barrière immunitaire : les cellules immunitaires habitant l’intestin patrouillent et digèrent les agents pathogènes et les substances nocives, ce qui empêche ces derniers de circuler dans le sang. De plus, ce sont ces interactions qui composent les réponses anti/pro-inflammatoires dans l’axe intestin-foie ;
- la barrière vasculaire intestinale: analogue à celle du cerveau, cette barrière empêche la translocation de grosses molécules en provenance de la lumière intestinale. Toutefois, les infections bactériennes peuvent la perturber et laisser passer de plus grosses molécules qui faciliteront la propagation bactérienne.
Chez une personne en bonne santé, ces barrières contrôlent le flux de microbes et de composés allant de l’intestin vers le foie2. Arrivées dans le foie, ces substances sont détoxifiées avant de rejoindre la circulation systémique. La bile qui sera ensuite produite par le foie est sécrétée dans les intestins. Si la plupart des acides biliaires sont réabsorbés, une petite partie atteint la partie terminale de l’intestin où les microbes intestinaux s’occupent de les transformer en acides biliaires secondaires. En modulant l’immunité intestinale et en prévenant la surcharge en acides biliaires, cette interaction favorise la santé intestinale.
Quel est le rôle du microbiote intestinal dans les maladies du foie ?
Les déséquilibres du microbiote intestinal, ou dysbiose, sont impliqués dans les pathologies du foie telles que l’hépatite virale, dans les métastases du cancer colorectal dans le foie, ainsi que dans les lésions hépatiques induites par les médicaments. La dérégulation de l’axe intestin-foie contribue au développement et à l’intensification de diverses maladies du foie. En perturbant la barrière intestinale, l’inflammation hépatique chronique, la fibrose et l’hypertension portale produisent une inflammation systémique et des complications qui peuvent entraîner une défaillance de plusieurs organes, voire la mort dans les scénarios les plus pessimistes.
Si la plupart des recherches ont été faites sur des animaux, des essais cliniques sur l’homme sont en cours. L’augmentation de la perméabilité intestinale est étroitement liée aux maladies du foie. Les régimes riches en graisses et la consommation d’alcool peuvent affaiblir la barrière intestinale et permettre aux toxines bactériennes d’atteindre le foie et d’y déclencher une inflammation. Au fil du temps, cette inflammation persistante contribue à des pathologies telles que la stéatose hépatique qui touche aujourd’hui environ un Américain sur cinq3. En outre, il a été constaté que des modèles spécifiques de microbiote intestinal sont liés à de meilleures réponses aux immunothérapies contre le cancer hépatique chez l’homme4.
Interventions sur le microbiote intestinal fondées sur des preuves pour traiter les maladies du foie
Plusieurs thérapies ciblant l’axe intestin-foie sont à l’étude, y compris celles ciblant le microbiote intestinal :
- Antibiotiques1, 5 : dans le cadre d’essais randomisés contrôlés par placebo, la rifaximine a permis d’améliorer la fonction de la barrière intestinale et de réduire l’inflammation systémique dans les maladies du foie ;
- Prébiotiques1, 2, 5 : les prébiotiques tels que le lactulose sont fréquemment utilisés dans la prévention et le traitement de graves maladies du foie telles que l’encéphalopathie hépatique, mais aussi dans la réduction des toxines et le soutien à l’intégrité de la barrière intestinale6, 7;
- Probiotiques2 : malgré la réussite modérée de certains essais cliniques comprenant des interventions avec les genres Lactobacillus et Bifidobacterium, il n’en demeure que la grande variabilité des formulations et le manque de clarté des cibles thérapeutiques n’ont pas permis d’obtenir une reproduction cohérente ;
- Synbiotiques2 : un traitement d’un an avec une association de probiotiques et de prébiotiques a prouvé la capacité à modifier le microbiome fécal, sans pour autant réduire la teneur en graisse du foie ou les biomarqueurs pertinents chez les patients atteints de MASLD ;
- Postbiotiques2: la supplémentation en Akkermansia muciniphila pasteurisé dans un petit essai clinique et en composants de Lactobacillus paracasei dans une étude préclinique a vraiment amélioré la sensibilité à l’insuline. Un essai randomisé contrôlé réalisé récemment par une équipe espagnole a par ailleurs montré qu’une intervention multifactorielle – comprenant de l’exercice à domicile, des compléments d’acides aminés à chaîne ramifiée et un probiotique à souches multiples – avait un impact positif sur la fragilité des patients atteints de cirrhose8;
- Transplantations de microbiote fécal (TMF)1, 2, 5 : la transplantation de selles de donneurs sains s’est révélé prometteuse dans le traitement de l’encéphalopathie hépatique. Associée à une amélioration des fonctions cognitives, à une réduction de l’inflammation et à une correction de la dysbiose, elle a permis de diminuer les hospitalisations dues à des complications liées au foie9, 10;
- Microorganismes modifiés1, 2, 5 : les thérapies émergentes comprennent les bactériophages, des virus ciblant les bactéries nuisibles, et les bactéries modifiées qui décomposent les métabolites toxiques. Par exemple, la SYNB1020, une souche probiotique d’Escherichia coli Nissle 1917, a été bien tolérée dans une étude clinique de phase I pour les troubles de l’hyperammoniémie causés par le traitement dégradé de l’ammoniaque dans le foie11.
Bien que ces thérapies soient encourageantes, des recherches supplémentaires seront nécessaires pour que les interventions puissent s’adapter à des maladies hépatiques spécifiques, qui sont par nature hétérogènes12. Étudier les associations de probiotiques, de prébiotiques et d’autres traitements ciblant l’intestin pourrait améliorer les résultats thérapeutiques.
Messages à retenir
- L’axe intestin-foie est régulé par trois pare-feu biologiques et agit comme un réseau de communication clé pour préserver la santé. Le microbiote intestinal joue ici un rôle essentiel.
- Un régime pauvre en aliments ultra-transformés et gras, la non consommation d’alcool et une activité physique régulière ont des effets significatifs sur la santé de l’intestin et du foie.
- Les thérapies fondées sur le microbiote, telles que le lactulose prébiotique et certains mélanges de probiotiques, apparaissent comme des traitements potentiels pour certaines maladies du foie.
Références :
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