Les enfants naissent avec un système immunitaire immature. Jusqu’à présent, les scientifiques croyaient que la naissance était la première occasion pour les microorganismes de la mère de coloniser l’intestin du bébé et moduler ainsi son système immunitaire.

Mais voilà qu’une équipe composée de scientifiques allemands et suisses a récemment découvert qu’en fait cette interaction avec le  système immunitaire du bébé commence bien avant, pendant la grossesse.

D’après leurs découvertes, publiées dans le magazine Science, certaines molécules produites par le microbiote intestinal et des fragments inertes de molécules sont transférés de la mère au bébé par le placenta ou, ultérieurement, par les anticorps présents dans le lait maternel. Ces molécules et ces fragments stimuleraient les cellules immunitaires chez le nouveau-né dans le but de le préparer à faire face aux microorganismes logés dans son propre intestin.

Afin de prouver cette théorie, les chercheurs ont élevé des souris dépourvues de germes, puis ont colonisé temporairement les femelles gravides au moyen d’une variante d’E. coli conçue pour disparaitre avec le temps, permettant ainsi aux mères de se retrouver dénuées de germes au moment du travail.

À leur grande surprise, les scientifiques ont constaté que cette colonisation de la mère par E. coli affectait le système immunitaire des petits. En effet, après la naissance, l’intestin des petits nés de mères colonisées comptait un plus grand nombre de certaines cellules immunitaires (comme les cellules lymphoïdes et les mononucléaires) que celui des bébés nés de mères complètement dépourvues de microbes. Et ces cellules immunitaires perduraient même après le sevrage.

« Nous avons observé que pendant la grossesse, de petites fragments inertes de bactéries de l’intestin de la mère passaient du placenta au fœtus pour commencer à moduler le système immunitaire du petit », explique Mercedes Gómez de Agüero, chercheuse de l’Université de Berne (Suisse), et auteur principal de l’article, au cours d’une interview accordée à l’équipe de Gut Microbiota for Health.

« Nous n’avons trouvé aucune bactérie [vivante] [ni] dans le placenta [ni dans] le fœtus. Nos recherches confirment que la colonisation par les bactéries vivantes commence après la naissance », souligne la scientifique.

En fait, ces molécules non vivantes mentionnées par Gómez de Agüero serviraient à préparer la colonisation bactérienne du bébé après la naissance. Elle a en outre constaté une croissance des cellules dans le système immunitaire du bébé et une activation de l’expression génique impliquée dans la formation de la barrière intestinale, responsable du confinement du microbiote dans l’intestin.

De plus, les groupes d’animaux présentaient des modèles d’expression génique différents dans leurs intestins. Les bébés dont les mères avaient été exposées aux microbes dans l’utérus comptaient une expression plus importante de nombreux gènes, notamment ceux influant sur la division et la différentiation cellulaires, le métabolisme et, bien entendu, la fonction immunitaire, que les petits issus de mères dénuées de germes.

Mais pourquoi ce processus d’influence microbienne commence-t-il pendant la gestation ? Dans leur article, les auteurs suggèrent que cette influence microbienne sur les petits pendant la grossesse jouerait un rôle majeur dans la préparation du système immunitaire à l’exposition à la grande variété de microbes logés dans leur intestin tout au long de leur vie.

« Le nouveau-né sera ainsi prêt à contrôler les bactéries de son propre intestin et son système immunitaire pourra réagir de façon atténuée et proportionnée à la présence de molécules bactériennes dans ses organes », a expliqué Gómez de Agüero dans un courriel adressé à Gut Microbiota for Health. « Cette préparation du système immunitaire du nouveau-né pendant la grossesse lui permettra de développer une réponse à la colonisation bactérienne adéquate, sans réagir de façon exagérée ni subir une infection. »

Les chercheurs ont observé que le système immunitaire des petits nés de mères colonisées pendant la grossesse semblait en outre les protéger des inflammations et des infections bactériennes. « Connaitre le moment où le système immunitaire du bébé commence à se préparer pourrait contribuer à l’amélioration de cette préparation afin de prévenir les maladies infantiles », affirme Gómez Agüero.

Cette expérience a montré que les microbes de la mère peuvent aussi interagir à travers le lait maternel : les souris nées de mères dépourvues de germes mais allaitées par des mères colonisées présentaient aussi un plus grand nombre de certaines cellules immunitaires.

Ces découvertes, bien qu’issues de modèles animaux, pourraient apporter une nouvelle vision du développement précoce du système immunitaire chez les humains. Ces recherches mettent en lumière un mécanisme par lequel le microbiote maternel exercerait son puissant effet sur le développement du futur enfant pendant la grossesse.

 

 

Références :

Mercedes Gómez De Agüero, Stephanie C. Ganal-Vonarburg, Tobias Fuhrer, et al. The maternal microbiota drives early postnatal innate immune developmentScience, 2016DOI: 1126/science.aad2571