Alisa a dû emballer ses affaires et déménager alors qu’elle était enceinte de huit mois. Un déménagement n’est jamais facile à vivre et encore moins lorsque l’on porte sur soi 11 kg supplémentaires et l’on ne peut plus lacer ses chaussures. Heureusement, elle a pu compter sur l’aide de sa meilleure amie, qui, comme le raconte Alisa, « m’a aidée à emballer plus de la moitié de mes affaires et a frotté jusqu’au moindre recoin de notre nouvelle maison ! »

Proposer à une femme enceinte de faire le ménage pour l’aider à ne pas stresser semblerait à priori un peu exagéré. Mais selon Eldin Jašarević, post-doctorant au laboratoire de Tracy L. Bale (Université de Pennsylvanie), certains facteurs de stress seraient loin d’être anodins pendant la grossesse.

Le travail de Jašarević dans le laboratoire de Bâle consiste en partie à étudier les facteurs qui affectent la santé mentale d’un animal pendant qu’il se développe dans l’utérus de sa mère, puis tout au long de sa vie.

Les résultats obtenus dans les modèles animaux suggèrent que pendant la grossesse, certains facteurs de stress interfèrent avec le développement normal du cerveau des petits

Au cours d’une interview accordée aux éditeurs GMFH, Jašarević explique que les résultats obtenus dans les modèles animaux suggèreraient que pendant la grossesse, certains facteurs de stress interfèrent avec le développement normal du cerveau des petits — des mâles, notamment. Et ces facteurs de stress agiraient en partie en altérant les microorganismes résidant dans l’intestin.

Jašarević s’en rapporte à une étude, parue en début d’année, dans laquelle lui et ses collègues ont utilisé un modèle de souris pour tester les effets du stress pendant la grossesse. « Durant la première semaine, nous avons exposé les souris gravides à plusieurs facteurs de stress dont la fréquence, la durée et la chronicité variaient », continue-t-il. « Cette expérience était vraiment censée modéliser tous les facteurs de stress inattendus, imprévisibles et incontrôlables auxquels la plupart d’entre nous peuvent être confrontés. »

Grâce à des études précédentes, les scientifiques savaient déjà que stresser ainsi les souris gravides affecterait la santé du cerveau de leurs petits mâles. À l’âge adulte, ces mâles développeraient des réponses inusuelles aux facteurs de stress rencontrés et de nombreuses autres anomalies cognitives.

Les chercheurs voulaient vérifier si le stress avait un impact les changements bactériens qui interviennent dans l’intestin pendant les 19 jours de gestation de la mère. « Nous avons prélevé des échantillons fécaux quotidiennement. Puis, nous avons étudié la composition de la communauté microbienne au cours du temps. » continue Jašarević. « Et nous avons constaté qu’en effet, le stress perturbe la structuration naturelle du microbiote intestinal pendant la grossesse. »

« Et cela n’affecte pas que la composition — qui est là ? —, mais aussi le “que font-ils ?” » Cette perturbation a été observée non seulement dans le microbiote intestinal des mères, mais aussi dans leur microbiote vaginal.

Jašarević et ses collègues suspectent que la disponibilité de nutriments, influe sur la manière dont le système immunitaire et le cerveau des petits se développent. En effet, la perturbation du microbiote intestinal pourrait influencer spécialement l’état nutritionnel — capacité de la mère à extraire les nutriments de son alimentation — et altérer ainsi l’approvisionnement en énergie du cerveau du bébé en développement. Les interactions avec les hormones expliqueraient les effets spécifiques sur les mâles.

En revanche, en ce qui concerne l’Homme, tout reste à prouver. « Actuellement, nous essayons d’appliquer ce que nous avons appris chez les souris pour l’adapter en suite : du chevet du patient au laboratoire et vice versa », souligne Jašarević.

Bien qu’il soit encore trop tôt pour assurer que les résultats sont complètement extrapolables à l’Homme, Jašarević nous rappelle les données issues de la Famine hollandaise et d’autres études, ayant révélé que l’état nutritionnel de la mère est crucial pour le développement de son enfant.

« Aujourd’hui, nous introduisons une nouvelle composante, nous rajoutons une couche complexe », ajoute-t-il. « L’état nutritionnel est important, certes, mais il semblerait que cet état nutritionnel est déterminé par le microbiote intestinal de la mère. »

Jašarević signale que « nombre des nutriments contribuant à une croissance fœtale normale sont fournis par la mère, et beaucoup de ces nutriments ont une origine microbienne — comme les acides gras a chaine courte, par exemple. »

« Il est fascinant de constater qu’alimentation, microbiote intestinal de la mère et, potentiellement, développement du fœtus sont intimement liés. »

« Nous commençons à accepter l’idée que le microbiome, notamment le microbiome maternel pendant la grossesse, pendant la période postnatale ou l’allaitement, est primordial pour le développement global de l’enfant — mais aussi pour son développement neuronal. », conclut-il.

 

 

Référence :

Jašarević E, Howard CD, Misic AM, Beiting DP, Bale TL. Stress during pregnancy alters temporal and spatial dynamics of the maternal and offspring microbiome in a sex-specific manner. Scientific Reports. 2017 ; 7:44182. doi : 10.1038/srep44182